Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Espaces, territoires et identités : jeux d’acteurs et manières d’habiter
La cité de refuge de Le Corbusier : la rencontre de deux charismes au service d’une morale et son ordre spatial
Olivier Chadoin
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RÉSUMÉ

En 1930, l’Armée du Saluts commande à l’atelier de Le Corbusier la cité de refuge (Paris, 13e arrondissement). L’analyse de ce bâtiment en fait un fossile de l’histoire sociale des conceptions morales du traitement de la pauvreté. « Reclasser les déclassés » et remettre la ville en ordre : tels sont les mots utilisés alors et qui résument les intentions de Le Corbusier et de l’Armée du Salut. La conception morale qui guide l’action de l’Armée du Salut, qu’elle souhaite voir « spatialiser » par l’architecte, est typique d’une vision des nécessités d’un « reclassement » des « gens de rien » au bénéfice d’une « réparation des maux de la société industrielle ». Le Corbusier, comme l’Armée du Salut, croit au Salut des hommes dans leur vie terrestre. Un Salut qui passe par la « rectitude » et, donc, le « droit chemin » : « rectitude morale » pour les salutistes et « rectitude géométrique » pour l’architecte. C’est cette vision morale partagée, qui s’incarne physiquement dans un ordre spatial, que l’article propose de présenter.

MOTS-CLÉS
Mots-clés : Le Corbusier ; ordre spatial ; morale ; Armée du salut ; Cité refuge ; société industrielle
Index géographique : France ; Paris
Index historique : xx-xxie siècles
SOMMAIRE
Introduction
I. Le Corbusier et l’Armée du Salut : la rencontre de deux charismes
II. L’homologie de deux visions du monde
III. La figure du pauvre dans l’entre-deux guerres : du vagabond aux clochards et « sans taudis »
IV. « L’usine du bien » : réparer la machine humaine
V Un centre de tri et de reclassement

TEXTE

En effet, ce n’est pas la doctrine éthique d’une religion, mais le comportement éthique qu’elle récompense par des primes en accordant des biens de Salut déterminés, qui constitue au sens sociologique du terme, son ethos spécifique. Ce comportement, dans le puritanisme, correspondait à une certaine forme de conduite méthodique et rationnelle de la vie, qui prépara la voie à l’esprit du capitalisme moderne. (Max Weber, 1906)


Introduction

L’analyse des édifices se situe souvent entre sociologie de l’art et histoire sociale. Si l’historien de l’art peut y voir des styles, courants, écritures et questionner même la notion d’auteur, le sociologue voit, lui, dans les productions architecturales comme des fossiles : formes matérielles des évolutions sociales, formes matérielles et symboliques produites dans le cadre de la rencontre entre arschitectes et maître d’ouvrage pris par la même épistémè. C’est ce modèle d’interrogation que j’ai mis en œuvre, en collaboration avec un historien spécialiste de l’œuvre de Le Corbusier (Gilles Ragot), à propos d’une des premières grandes commandes du célèbre architecte en 1933 : la cité de refuge de l’armée du salut dans le 13e arrondissement de Paris [1].

Dans ce travail j’ai cherché à donner sens et corps à l’idée d’une « histoire architecturale de la société ». L’enquête a été menée selon un regard socio-historique à partir de la compréhension des optons architecturales prises dans le contexte de la conception des sans-abris dans l’entre-deux guerres et comme un modèle de relation entre un architecte et une commande, modèle appréhendé à partir d’un travail sur les archives du chantier et des correspondances entre Le Corbusier et ses commanditaires. La genèse du bâtiment est donc replacée dans les conditions sociales d’émergence de sa commande, la relation entre l’Armée du Salut est comprise comme portée par une homologie entre « purisme architectural » et « puritanisme » de la secte protestante. Enfin, l’analyse de la patrimonialisation de l’ouvrage a permis de saisir comment, dans un travail social continu, se fabrique l’idée d’un auctoriat en architecture.

I. Le Corbusier et l’Armée du Salut : la rencontre de deux charismes

Comprendre la commande de la Cité de refuge nécessite d’abord de comprendre les logiques et valeurs de l’Armée du Salut qui, en ce début du xxe siècle, cherche à conforter son œuvre en France et dans le monde. Ainsi, cette commande peut être envisagée comme le fruit de la rencontre de deux volontés : celle de l’Armée du Salut, qui trouve là une manifestation physique emblématique de son action, et celle des architectes, Le Corbusier et son cousin Pierre Jeanneret, qui y trouvent l’occasion de faire la démonstration pratique de leurs conceptions théoriques. Mieux encore, ces deux volontés se rencontrent autour d’une préoccupation et d’une vision du monde. Il s’agit pour chacun de trouver des remèdes aux désordres de la ville industrielle.

Au fond, on assiste là à un modèle de relation entre architectes et commanditaires : celui de coïncidence de deux charismes, et de personnalités hors du commun. À cet égard, envisager la question de la commande, et donc de la maîtrise d’ouvrage de la Cité de refuge de l’Armée du Salut en 1929 engage, d’une part à contextualiser un modèle daté de transaction et d’élaboration entre client et architecte, d’autre part à restituer les conceptions partagées entre l’Armée du Salut et l’architecte Le Corbusier. Enfin, il faut également comprendre l’usage de l’architecture par l’Armée du Salut comme la recherche d’emblèmes pour conforter son implantation en France. Ainsi, les images et slogans de promotion de la Cité de refuge, telle la photographie du commandant Peyron sur le toit du bâtiment, jouent souvent sur cette idée mise en scène, reprise par la presse de l’époque, d’un bateau ou d’un phare de secours dans l’océan sombre de la pauvreté urbaine. Reclasser les déclassés et remettre la ville en ordre : telles pourraient être résumées les intentions conjointes de Le Corbusier et de l’Armée du Salut. C’est ce qu’expriment très bien les expressions « gare de triage », « plaque tournante » ou « usine du bien » qui jalonnent les documents produits par l’Armée du Salut. Pour l’institution salutiste, cette cité devait être la première d’une série d’œuvres similaires dans la France entière [2].

L’arrivée et le développement des sectes [3] protestantes ne débutent en France qu’après la chute de Napoléon. L’Armée du Salut est la plus tardivement implantée et la seule qui ait perduré jusqu’à nos jours. Lorsque l’Armée du Salut s’installe en France, son fondateur William Booth a déjà publié son « grand programme », lequel date de 1890. Le mouvement salutiste, créé en 1865, dispose alors d’une solide base de soutien et d’une organisation éprouvée par vingt-cinq ans de pratique. Pourtant, c’est seulement vers 1881 qu’il commence ses campagnes en France, avec un voyage de Kate Booth, fille aînée des fondateurs, surnommée la « Maréchale », qui trouvera d’abord ses relais dans le Midi de la France [4].

Le programme salutiste est bien connu : « Soupe, savon, salut », c’est-à-dire nourriture, dignité et relation à Dieu. Son organisation est triple : Église, Armée et œuvre sociale [5]. Secte évangélique protestante, elle entend mettre en œuvre des solutions concrètes pour répondre aux maux engendrés par le développement industriel et urbain. William Booth a en effet été frappé par la pauvreté accompagnant la révolution industrielle anglaise, notamment dans l’East End londonien. C’est là une spécificité de l’Armée du Salut : elle inscrit son action dans le contexte du développement industriel. Fondée sur une discipline militaire stricte (missions, grade, uniformes, etc.), des habitudes de vie réglées et un usage important de la musique (la fameuse fanfare), elle est en guerre contre la misère et en mission pour le salut des âmes.

Surtout, elle substitue l’idée du reclassement aux deux attitudes traditionnelles à l’égard des sans-logis que sont la potence et la pitié. Il ne s’agit pas de punir le pauvre vagabond coupable de sa situation, voire dangereux, ou de lui porter simplement assistance par charité. L’idée est clairement de « reclasser » les malheureux, de les remettre au travail et de leur redonner une place et une vocation dans les affaires du monde terrestre. C’est que leur Salut ne peut être gagné qu’ici-bas, une conception évidemment sous-tendue par les principes éthiques du calvinisme qui insistent sur la réalisation de la vocation de chacun par le métier [6]. Le salut est désormais affaire terrestre, ce qu’exprime d’ailleurs l’un des slogans de l’Armée du Salut : « Du travail pour tous ». Mieux encore, et c’est là une première affinité évidente avec la pensée corbuséenne, cette vision du pauvre s’inscrit chez William Booth dans une vision du monde social comme machine [7], c’est-à-dire comme ensemble fonctionnant de manière intégrée et dans lequel chaque élément aura sa place et son utilité, et trouvera donc à se réaliser. Au fond, il ne s’agit pas de contester l’ordre social mais de le corriger et de remettre de l’ordre dans la ville et la société industrielle. Cette attitude nouvelle, qui comprend le nécessiteux comme digne de salut et reclassable, suscitera d’ailleurs bien des interrogations et confusions. Ce projet sera tantôt lu et compris comme intrinsèquement dangereux car capable de lever une nouvelle Armée prolétarienne contre les intérêts de la bourgeoisie, tantôt comme une attitude réformiste conforme aux intérêts des capitaines d’industrie et de la bourgeoisie. Ainsi, en 1932, Berthold Brecht dédiera sa pièce Jeanne des abattoirs à l’Armée du Salut, et Engels y verra une entreprise quasi révolutionnaire [8], tandis que d’autres marxistes y décèleront juste une nouvelle ruse du capitalisme, un nouvel « opium du peuple » pour le maintien paisible d’une « Armée de réserve industrielle ».

En définitive, l’Armée du Salut ancre son action dans une conviction : la nécessaire remise en ordre du monde industriel de sorte que chacun y trouve dignité et vocation. Pour elle, le salut des sociétés passe par le salut des hommes. Elle partage avec son époque le sentiment d’un dysfonctionnement de la société et de la ville industrielles en développement. Et, comme l’illustrent à merveille les films de Chaplin, le vagabond vient rappeler à la machine ses ratés, voire provoque la destruction de sa mécanique bien huilée par son action et sa présence imprévues. Dans la période de doute qu’a installé la grande dépression, le vagabond met l’accent sur les dysfonctionnements et le manque cruel de sens de la société industrielle. C’est sans doute là aussi une vision propre à ce début de xxe siècle que partage Le Corbusier lorsqu’il constate la mauvaise adaptation de la ville à la société machiniste et appelle de ses vœux à une remise en ordre par une « seconde révolution machiniste ». Selon lui, l’urbanisme devra veiller à ce que tous les éléments soient intégrés et utiles au fonctionnement de l’ensemble, la ville elle-même, constituée d’organes, participant au fonctionnement de l’ensemble dans un ordre défini selon l’analogie biologique [9]. Cette vision, que Le Corbusier théorisera, est partagée par nombre de ses contemporains. Ainsi, Lewis Mumford, préoccupé par les rapports entre évolutions techniques et vie urbaine, énonce en 1934 [10] une évolution de la ville en trois phases : éotechnique, paléotechnique, néotechnique. La phase paléotechnique est celle de son temps. Elle est celle de la vapeur, de la houille, de la concentration urbaine et industrielle mais aussi et surtout, selon ses propres mots, celle « du brouillard et de l’incertain ». Aussi Mumford appelle-t-il au développement d’une ère nouvelle dans laquelle l’homme sera réconcilié avec ses activités. Une ère dans laquelle les produits de la technique et de la machine constitueront pour l’homme un milieu naturel.

II. L’homologie de deux visions du monde

Fondamentalement, ni Le Corbusier, ni ses commanditaires ne refusent le développement urbain et industriel. Simplement, ils ambitionnent de créer les conditions favorables à ce que chaque chose et chaque homme trouvent leur place dans une ère industrielle et machiniste enfin en ordre. En ce sens, l’analyse de la Cité de refuge proposée par Brian Brace Taylor [11], sans toutefois rapprocher ce projet des conceptions corbuséennes, a bien vu comment la vision de l’Armée s’affirme telle une immense entreprise de « recyclage » et de « réhabilitation ». Ceci est en effet clairement posé en 1923 par Le Corbusier dans le célèbre chapitre « Architecture ou révolution » de Vers une architecture. L’auteur y expose le dilemme de la façon suivante : « Le rouage social, profondément perturbé, oscille entre une amélioration d’importance historique ou une catastrophe. L’instinct primordial de tout être vivant est de s’assurer un gîte. Les diverses classes actives de la société n’ont plus de gîte convenable, ni l’ouvrier, ni l’intellectuel. C’est une question de bâtiment qui est à la clé de l’équilibre rompu aujourd’hui : architecture ou révolution ? On peut éviter la révolution [12]. » La chose est entendue : il n’y a là aucune vision de la société divisée en classes mais l’idée qu’un nouveau logis doit être produit pour tous, quel que soit la position ou le rang social de chacun.

Cette lecture et cette représentation de la ville par Le Corbusier s’expriment clairement lorsque, en 1925, il voit dans le Paris des années 1930 un « monstre aplati sur une région entière, un monstre du type de biologie le plus primaire, un protoplasme, une flaque ». Il diagnostique ainsi la ville de son temps : « Hangar, dépôt, abri des “laissés pour compte” […] : natalité, équilibre social, organisation industrielle et commerciale, alcoolisme, criminalité, moralité spéciale de la grande ville, civisme etc. [13]  », avant d’affirmer que la solution est un urbanisme fondé sur l’ordre. Au fond, si, pour l’Armée du Salut, le salut des âmes et des hommes est la base de celui des sociétés, pour Le Corbusier, ce salut passe par l’architecture et par la ville remises en accord avec les développements du machinisme.

C’est là un premier point qui engage la sympathie de Le Corbusier pour l’Armée du Salut : la dualité de la ville industrielle, entre ombre et lumière, la nécessité d’une remise en ordre, de la lutte contre le gaspillage. Le Corbusier est un homme d’ordre pour qui « la machine s’est vengée de l’humanité moderne en lui apportant deux fléaux majeurs : le bistrot et la vitesse », explique Pierre Francastel [14]. Mais l’architecte ne recherche pas la solution à ces maux dans l’engagement politique ou dans une sorte de nostalgie de l’accord perdu avec la nature. À l’inverse, il mise sur un autre machinisme. Un second machinisme, organisé, ordonné et, surtout, rationalisé, marquant par-là l’histoire esthétique d’une relation renouvelée entre art, technique et industrie. Cette conception passe certes par une volonté de refaire les villes et les logis mais aussi par la création de ce que Le Corbusier nomme lui-même « l’homme nouveau ». Un homme débarrassé des anciennes habitudes, des anciens modes de vie. « C’est l’homme ancien, amateur de bistrot […] qui doit céder la place à l’homme nouveau avide de lumière, soleil, air pur […] sport [15] », un homme dont la vie est réglée par un ordre habité.

La catégorisation de ces positions en termes politiques est incertaine, et les idées de Le Corbusier circulent d’ailleurs autant à gauche qu’à droite de l’échiquier politique [16]. Ce qui caractérise le mieux sa position et permet de saisir ses affinités avec l’entreprise salutiste, c’est plutôt un ethos, une vision du monde, une manière de voir et de penser. Ainsi, lorsque Le Corbusier s’adresse à l’Armée du Salut dans une correspondance précédant la commande de la Cité de refuge, il évoque à son propos un « lien moral », sans oublier d’ajouter : « L’Armée du Salut va de l’avant, nous aussi [17] ! » En ce sens, sa proximité avec la mission salutiste ne doit pas être comprise comme une « convergence idéologique » mais plutôt comme une parenté logique ou, mieux, une homologie. Le Corbusier, comme le commandant Peyron, croit au salut des hommes dans leur vie terrestre. Un salut qui passe par la « rectitude » et, donc, le « droit chemin » : rectitude morale pour les salutistes et rectitude géométrique pour Le Corbusier. On saisit bien ici l’origine calviniste de cette vision. Ne parle-t-on pas à propos de l’architecture de Le Corbusier de purisme ? Or, le purisme n’est-il pas une version esthétique du puritanisme ? Ce purisme est d’ailleurs, comme l’a rappelé Paul V. Turner [18], au cœur de la pensée cathare du Moyen Âge, une pensée pour laquelle Le Corbusier s’est passionné au point d’emprunter, en 1920, le nom de Corbusier à un lointain ancêtre cathare. L’éducation religieuse et calviniste de Le Corbusier n’est donc pas superficielle. Il est incontestablement dans une grande proximité avec « la tradition calviniste de la région suisse dont il est issu : d’une part cette tradition met l’accent sur les évangiles et en fait la source de la doctrine religieuse, d’autre part elle oppose deux forces fondamentales, l’état de péché inhérent à la nature humaine et la grâce de Dieu accordé par le Saint Esprit [19] ».

Cet ethos puritain est pourtant rarement évoqué pour rendre compte du travail de l’architecte. C’est sans doute que l’assimilation rapide de son travail à la seule rationalité empêche de saisir ce soubassement idéaliste. Mieux encore, on peut penser qu’il trouve dans cette commande de l’Armée du Salut une véritable affinité fondée sur la volonté de concilier le salut, l’idéalisme, la raison et l’ordre. Aussi n’est-il pas faux de dire que le rationalisme de Le Corbusier est une forme de puritanisme. Enfin, et surtout, il ne s’agit pas ici d’idéologie partagée entre l’Armée du Salut et l’architecte mais plus d’une forme d’homologie dont la racine serait l’ascétisme et la recherche du salut terrestre. La rationalisation opère ici comme un point de passage entre le projet architectural et le projet social salutiste.

Ainsi, la commande de la Cité de refuge apparaît bel et bien comme un modèle singulier de relation entre maîtrise d’ouvrage et architecte. Ici, l’avant-garde artistique rejoint les visions philanthropiques du progrès social. Le projet repose sur la rencontre exceptionnelle de deux visions du monde et de deux engagements [20], et c’est en ce sens qu’il est possible de parler de la rencontre de deux charismes [21], d’une volonté partagée de mener un projet hors du commun : celui du salut des hommes et de la production d’un homme nouveau. À cet égard, la Cité de refuge est une borne importante dans le travail de Le Corbusier, comme elle l’est dans l’implantation de l’Armée du Salut sur le territoire parisien et français. Pour l’architecte, c’est la première commande lui permettant de faire la démonstration pratique de ses idées pour la rénovation de la civilisation machiniste. C’est ainsi qu’il décrit ce bâtiment comme une démonstration de ses conceptions théoriques. Enfin, il faut souligner que si cette commande est importante pour Le Corbusier, c’est aussi qu’elle lui permet de faire la preuve de la validité de ses thèses auprès d’une nouvelle clientèle [22].

III. La figure du pauvre dans l’entre-deux guerres : du vagabond clochards et « sans taudis »

Le fait que quelqu’un soit pauvre ne veut pas dire qu’il appartienne à la catégorie sociale spécifique des pauvres ils sont assistés – ou peut-être dès que leur situation globale aurait dû exiger assistance, bien qu’elle n’ait pas encore été donnée – qu’ils deviennent membres d’un groupe caractérisé par la pauvreté. Ce groupe ne demeure pas uni par l’interaction de ses membres, mais par l’attitude collective que la société, en tant que tout, adopte à son égard. (Georg Simmel, Les Pauvres, 1907)


Sans vouloir dresser une histoire de la grande pauvreté ou de l’errance, il convient de livrer, si l’on veut comprendre l’émergence d’un lieu tel que la Cité de refuge, quelques repères quant à l’évolution des représentations de ces « gens de rien », ou « sans taudis », comme on les nomme alors.

L’histoire des modes de prise en charge de ces individus de la marge ou de la lisière du corps social, comme celle des politiques publiques qui les visent, est en effet largement liée à la manière dont une société donnée se les représente. Plus simplement, ce que nous rappelle la citation de Georg Simmel, c’est que l’état de pauvreté ne suffit pas à former un groupe social aux frontières claires. Mieux encore, si ce groupe et cette identité du pauvre existent, c’est par l’effet d’une désignation et d’une attitude – notamment l’assistance – que la société exerce à l’égard des individus. Cette définition, qui écarte donc tout substantialisme pour privilégier une approche relationnelle de la pauvreté, invite à regarder autrement l’évolution des regards portés sur le « pauvre » et, donc, de mieux saisir comment l’architecture et les modes d’action de l’Armée du Salut sont liés dans leurs évolutions aux changements qui affectent les représentations de la pauvreté.

Au Moyen Âge, les vagabonds sont aussi des mendiants. Sur fond de chrétienté, ils ne sont pas exclus mais insérés, dans une logique charitable. Le dénuement est conçu sur le mode spirituel. Les dominants achètent leur salut par la charité et le pauvre, l’indigent, le vagabond, ont un statut. Les ordres mendiants et les pèlerins côtoient les criminels, les prostituées et les ribauds… La mendicité est alors intégrée à la vie urbaine et dispose même parfois d’organisations et de représentations [23], une réalité qui perdure jusqu’au xvie siècle [24]. Mais les choses changent à la fin du Moyen Âge. Avec l’accroissement de la pauvreté errante sous l’influence des crises économiques, des disettes et des épidémies, le mendiant est moins toléré et progressivement perçu comme un poids économique, voire comme un facteur de danger et d’insécurité. Bronislaw Geremek a montré que se met alors en place un changement dans les représentations dominantes des mendiants et des vagabonds [25]. Désormais, on se met à distinguer entre « bons pauvres » et « mauvais pauvres ». Le mauvais pauvre est valide et ne travaille pas, il est suspecté d’être fainéant, voire suspect et même dangereux. Ainsi, on distingue désormais une pauvreté méritée et une pauvreté méritante, à partir desquelles émerge un système alternatif entre « potence et pitié » dans le traitement social de la pauvreté. Cette vision duale génère des réponses non plus fondées sur la charité mais sur le couple assistance/répression, qui marque les xviie et xviiie siècles [26], et se reflète dans les deux institutions qui sont, d’une part l’Hôpital général, créé en 1656 et dont la vocation est le travail, la rééducation et la formation religieuse, et d’autre part les dépôts de mendicité, des lieux de réclusion des « mendiants et gens sans-aveu » qui apparaissent en 1764. De même, les tentatives de remise au travail obligatoire et la réclusion des « oisifs » se développent. En Angleterre par exemple, une politique de punition et de rééducation par le travail émerge à la fin du xviiie siècle. Il s’installe donc, à partir du xviiie siècle, une vision singulière de la pauvreté et de son traitement, celle que Michel Foucault [27] a nommé politique du « grand renfermement » et qui impose la réclusion et la mise au travail des mendiants et des vagabonds, des tziganes et des fous dans les hôpitaux généraux. C’est là une étape essentielle qui marque le développement d’un ethos du travail nécessaire aux sociétés modernes et capitalistes. Mariant les registres caritatif, assistanciel et coercitif, le travail devient la forme principale d’éducation et d’insertion des individus.

La misère est désormais inscrite dans l’ordre industriel et urbain. Le développement de la société industrielle, avec ses crises et ses déplacements de main-d’œuvre, change l’image du vagabondage et de la pauvreté qui ne cessent d’augmenter. Les « sans travail », non indemnisés, forment une masse miséreuse, toujours regardée avec suspicion et soumise à la répression. Plus simplement, le vagabond devient le clochard du monde urbain. La pauvreté et l’errance se concentrent désormais dans les villes, un monde nouveau dans lequel les questions du logement et de l’hygiène se posent de façon accrue. En arrivant à Paris, Jean-Jacques Rousseau est frappé par ce phénomène : « Je ne vis que de petites rues sales et puantes, de vilaines moissons noires, l’air de la malpropreté, de la pauvreté, de mendiants, de charretiers, de ravaudeuses, de crieuses de tisanes et de vieux chapeaux. Tout cela me frappa d’abord à tel point, que tout ce que j’ai vu depuis à Paris de magnificence réelle n’a pu détruire cette première impression, et qu’il m’en est resté toujours un secret dégoût pour l’habitation de cette capitale [28]  ».

Le xviiie siècle est en effet un tournant pour les villes françaises. Le développement économique, la croissance démographique, l’exode rural en transforment largement la forme. Dans ces nouveaux quartiers que sont les faubourgs se développe une classe laborieuse qui sera saisie comme une classe dangereuse [29]. L’ouvrier s’étant sédentarisé, le vagabond apparaît comme un « mauvais pauvre [30] ». De nouvelles figures sociales apparaissent, dont les écrivains tentent de dresser le portrait selon des « physiologies ». Avec l’urbanisation et l’industrialisation, des questions telles que le logement et l’hygiène, le salariat, la mobilité et l’organisation urbaine surgissent. Aussi, avec la mise en place d’une société salariale, on passe progressivement de la notion de « pauvreté » à celle de « précarité », qui devient un problème social et politique [31]. Durant toute cette période du développement de l’économie capitaliste, la figure du vagabond s’efface au profit de celle du clochard. Le clochard est celui qui ni ne travaille, ni ne bouge, dit en substance Nels Anderson dans sa célèbre ethnographie du Hobo publiée 1923 [32]. Ce dernier incarne la figure du « mauvais pauvre qui se fixe dans le paysage urbain où il provoque un sentiment contradictoire de répulsion et de compassion. Il s’impose comme une figure exemplaire de la désaffiliation, soumis à la double contrainte de devoir travailler et de ne pouvoir le faire [33] ». Cette période a été largement étudiée par de nombreux auteurs, qui montrent que la prise en charge de la question par les institutions existantes repose principalement sur un mécanisme de tri entre « pauvres méritants » et « pauvres fainéants » ou bons et mauvais pauvres.

Deux événements de taille vont bouleverser le paysage : la Première Guerre mondiale et la grande dépression. La société française connaît un nouveau mal : le chômage. Au moment où l’Armée du Salut installe ses institutions à Paris, et en particulier la Cité de refuge, on assiste à l’émergence d’une « nouvelle pauvreté ». De même, le paysage de l’assistance est en train de changer : les premières assurances sociales se mettent en place et l’État cherche à développer une politique publique de secours national qui cohabite quelque temps avec l’organisation ancienne des œuvres. À Paris, des permanences d’entraide sociale sont créées dans la plupart des arrondissements après la grande guerre [34]. Le modèle charitable et philanthropique s’efface progressivement tandis que les pouvoirs publics cherchent à renforcer leur action. Par exemple, entre 1928 et 1930 naissent les premières lois sur les assurances sociales qui sont les prémisses du développement d’une « couverture sociale ». C’est que la pauvreté augmente et prend de nouvelles formes. La guerre a complexifié le paysage de la pauvreté qui se peuple désormais de soldats accidentés et sans aide, de femmes seules, de réfugiés, d’orphelins, etc.

Sur le plan urbain, les choses changent également. Les années 1920 s’imposent comme une période de forte extension urbaine durant laquelle la précarité déborde la ville et alimente le développement des faubourgs et de la banlieue où se concentrent taudis et garnis, habitats insalubres souvent surpeuplés de misérables [35]. Le développement de la ville se réalise en réalité dans un contexte où la construction de logements est insuffisante. L’expression « sans taudis » est significative de cette période. L’Armée du Salut, à Paris, est une des institutions à l’avant-garde de ce sujet, et Blanche Peyron, figure salutiste, publie au début de l’année 1920 un article qui sonne l’alarme à propos du manque et des conditions de logement [36] : « Oh ! qui pensera à ces cinq mille sans-abris de Paris, à ces centaines d’hommes et de femmes que je viens de voir, qui n’ont pas une chambre, pas un lit, pas une armoire, pas d’habits de rechange ? Ils travaillent, ils ont quelque argent, mais ils n’ont pas et ne peuvent avoir de logis, car il n’y en a pas ! Au secours ! Défendons la France, les malheureux, nous-mêmes contre cette marée montante de souffrance, de débauche, d’horreurs [37] ! » En effet, dès la fin de la Première Guerre mondiale, l’Armée du Salut s’attache plus particulièrement à la question du logement et des taudis. À Paris, elle édifie ses « palais » (Palais du peuple, Palais de la femme puis Cité de refuge), où il est possible de loger contre une somme modique. Les salutistes développent également les fameuses « soupes de nuit » et font circuler dans Paris à partir de 1925 la « charrette fantôme » – une charrette transportant de la soupe et du pain entre 22 heures et 3 heures du matin –, popularisée par le film éponyme de Jean Duvivier en 1938. Il faut ici rappeler que ses interventions auprès des soldats durant la grande guerre ont donné à l’institution une grande respectabilité. Le paysage de la prise en charge reste, dans cette période, assez contrasté : la répression est toujours présente, les hôpitaux poursuivent leur mission mais se recentrent sur les aspects thérapeutiques, la présence des œuvres est encore importante (on peut citer la Mie de pain à Paris) et l’action des groupes religieux se poursuit. L’Armée du Salut s’attache alors particulièrement au salut des jeunes filles, nouvelle catégorie touchée après la guerre et la dépression, période durant laquelle on découvre l’existence possible d’un « chômage total et de longue durée [38] ». De même, en cette période de diminution des naissances, les bureaux de bienfaisance et les pouvoirs publics soutiennent les crèches et les œuvres du « bon lait ».

Finalement, après la Première Guerre, le paysage de l’aide évolue et se professionnalise. Le modèle qui se propage s’attache de façon croissante aux questions sanitaires et « au développement des qualités physiques et morales » des pauvres qu’il faut « réadapter » et écarter du vice. On assiste, d’une part à une professionnalisation et à une institutionnalisation des mondes de l’assistance, d’autre part à un recentrage sanitaire de l’aide sociale qui se traduit par une « sanitarisation du social ». Un indice de cette montée de l’hygiénisme social est la création, en 1920, d’un ministère de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociales [39]. Un des modèles d’organisation récurrent de la prise en charge est celui de la hiérarchie militaire. Ainsi, Nels Anderson note que le modèle militaire de l’Armée du Salut s’est largement diffusé. Nombre de missions se nomment « armées » ( Christian Army, Samaritan Army, Saved Army, Volunteer Rescue Army), et « les uniformes des soldats qui composent l’équipe de travail de certaines des missions sont souvent si ressemblants qu’il est difficil les distinguer [40] ».

Le professionnalisme se développe et un système public de prévoyance et d’assistance se met en place. L’action des œuvres caritatives et autres initiatives de charité s’en trouvent affectées et s’adaptent également. Mais la crise des années 1930 bouscule encore ce paysage. Touchés par la dépression, les grands donateurs diminuent. Mais la crise a pour effet de réactiver les pratiques charitables. Quelques grands donateurs se mobilisent et, parmi eux, la Princesse de Polignac, qui soutient l’action de l’Armée du Salut et s’engage dans la transformation de la péniche « Louise Catherine » en dortoirs pour les sans-abris, puis dans la construction de la Cité de refuge qui ouvrira en décembre 1933. Dans le contexte de la crise, le projet n’est pas facile à mener et, pour y parvenir, des déjeuners et dîners de gala et autres moments de collecte de fonds sont organisés. Et, pour pouvoir achever les travaux de la Cité de refuge, est créée la « journée du bouton d’or », une collecte nationale pour les œuvres de l’Armée du Salut.

IV. « L’usine du bien » : réparer la machine humaine

La machine humaine détraquée sera révisée, réparée, remise en état de tenir la route de la vie. Justin Godart, 1934


Entre le moment où la Cité de refuge commence à être pensée et celui où elle ouvre ses portes, en décembre 1933, la nature et les causes de la pauvreté ont changé. La grande guerre d’abord, puis surtout les effets de la dépression, ont installé un nouveau paysage. Désormais, le chômage est un pas vers la pauvreté et il devient difficile de penser que le « pauvre » est responsable ou coupable de sa condition. Pour exemple, on a pu estimer que, dans le département de la Seine, le nombre de chômeurs est passé de 15 000 en juin 1931 à 93 000 en janvier 1932 [41].

Dans le domaine de l’assistance, un nouvel élan hygiéniste [42] se double d’une rationalisation et d’une professionnalisation en même temps que se met en place un système d’aides publiques avec les premières assurances sociales. C’est également le moment d’un important changement « en matière de recrutement et d’encadrement des œuvres : au bénévole travaillant en dilettante se substitue le salarié bien formé, contraint de rendre des comptes [43] ». Ce changement se traduit par une féminisation du travail missionnaire [44]. Enfin, élément important, une politique nataliste encourage l’aide aux mères, à la petite enfance et le développement de crèches ; une dimension à laquelle Édouard Herriot accorde une grande importance. Aussi, en 1931, Le Corbusier réagit-il à un article d’Herriot au sujet de la mère et de l’enfant et transmet la copie de son courrier au commissaire Peyron, lequel, à son tour, propose de diffuser la missive au sénateur Justin Godart. Ce dernier est l’un des personnages importants dans la mobilisation pour la construction de la Cité de refuge [45]. Dans le style direct qui le caractérise, Le Corbusier y explique : « Vous touchez là un sujet qui est proprement de l’urbanisme et de l’architecture. La cause vraie ? Une société désorganisée qui n’a plus ni logis, ni villes […]. Comment envisager des réformes sociales sans se saisir de la ville […], refaire de neuf les villes de l’époque machiniste qui permettent de faire une société nouvelle. » Puis : « Mère et enfant, ce trou noir angoissant, c’est un lambeau de cette nuit où nous voici […]. Je vous adresse ce mot, en écho à votre magnifique appel, parce que je sais que votre idée déjà est sur la route de la réalisation grâce à M. Le Commissaire Peyron et à sa femme, à l’Armée du Salut. Nous construisons pour eux la Cité de refuge qui abritera 500 désemparés. Parmi ces 500 malheureux, 65 mères trouveront chacune une chambre propre pour elles-seules, avec leur nourrisson : 65 chambres pour mères et enfants. C’est le commencement de votre rêve […]. Et tout ceci est début, n’est que début ! Après 10 années de recherches, j’en suis arrivé ces temps-ci à un concept général d’urbanisme, à une doctrine d’urbanisme. Cette ville que j’ai chiffrée, calculée, dessinée dans tous ses éléments fonctionnants, je l’ai baptisée pour la qualifier : la Ville Radieuse. Je sais combien votre souci de la vie publique, votre ardeur vouée au bien social vous ont conduit vers l’urbanisme […]. Après 10 ans de recherche de laboratoire, je me retourne aujourd’hui vers ce que je nomme L’Autorité [46]. »

Cette longue citation est emblématique. Elle situe clairement la Cité de refuge comme une prise de position contextualisée par rapport à une politique nataliste et comme un exemplaire des visions théoriques de la Ville radieuse. Cette conception se double d’une volonté hygiéniste que Le Corbusier répète dans un courrier à la Princesse de Polignac à propos de ce qui deviendra « l’affaire de la respiration exacte » : « Je termine en ce moment la correction des épreuves de mon livre [La Ville radieuse] [et le] chapitre fondamental de ce livre, la clef de voûte si l’on veut, est précisément la question du poumon dans l’habitation […]. Et la thèse fondamentale est la suivante : c’est que si l’on introduit les méthodes de l’air exact, ou l’air vivant […] à l’intérieur des immeubles d’habitation, toute la série des réformes indispensables pourrait s’effectuer dans l’économie et dans l’efficacité [47] . » L’ordre et l’autorité, la place des mères et des enfants, « l’air exact », la recherche de la lumière (avec le mur à pan de verre) sont des éléments essentiels du programme de la Cité de refuge qui sont tout à la fois des réponses aux problèmes de l’aide sociale dans l’entre-deux-guerres et une préfiguration importante de la théorie urbanistique et architecturale de la Ville radieuse. Les archives de l’architecte montrent d’ailleurs l’attention particulière apportée durant toute l’élaboration du projet aux questions de la crèche [48] et de la qualité de l’air dans le bâtiment de l’Armée du Salut : Le Corbusier prévoit des dortoirs fermés, une ouverture sur la terrasse pour la crèche, un solarium sur le toit. De même, le choix d’une façade vitrée hermétique doit permettre non seulement d’économiser le chauffage mais aussi et surtout de faire entrer le soleil tout en protégeant les résidents d’un air extérieur vicié par les pollutions industrielles. C’est un système de « circulation constante pour maintenir une température égale et la purification de l’air [49]  », système qui, comme on le verra, provoquera bien des discussions. Reste que cette attention à la pureté de l’air est, là encore, à relier au long processus d’attention aux odeurs sociales engagé dès la seconde moitié du xixe siècle pour aboutir à la banalisation des pratiques d’hygiène corporelle vers 1930 [50]. Selon cette conception, il s’impose de désodoriser et de désinfecter les espaces des pauvres. La propreté et l’hygiène apparaissent comme des moyens de lutter contre la perte et d’engager le reclassement du « pauvre ».

V. Un centre de tri et de reclassement

Ces conceptions, conjuguées aux méthodes de l’Armée du Salut, s’incarnent finalement dans un bâtiment qui est une sorte de modèle renouvelé de la prise en charge des nécessiteux. Le bâtiment n’est en effet pas réservé à une seule fonction sanitaire ou coercitive. Il mêle des fonctions et des publics diversifiés (mères, enfants, hommes célibataires sans travail ; rééducation par le travail, la foi, l’action sanitaire et l’action sociale). Plus qu’un bâtiment, il sera nommé « usine du bien », « centre de tri », « centre de triage », « centrale de charité » pour dire son caractère de « microcosme urbain [51] » et son rôle d’aiguillage des indigents et autres « sans taudis ». Implantée dans un quartier laborieux, soumise aux bruits et aux fumées des usines, la Cité de refuge s’installe, pour parler comme Le Corbusier, au cœur des désordres de l’ère machiniste qu’il s’agit de redresser. Rappelons qu’avec la ville industrielle sont apparues de nouvelles divisions sociales de l’espace urbain et une volonté des couches favorisées de mettre la pauvreté à distance [52]. L’usage des péniches et bateaux pour l’accueil des nécessiteux en est un indice. C’est une solution pour éviter les conflits en milieu urbain qui est alors utilisée dans d’autres villes que Paris [53].

Brian Brace Taylor a esquissé une généalogie des types architecturaux proches de la cité salutiste et bien détaillé le programme initial de l’Armée du Salut [54]. Rappelons que ce programme prévoyait trois activités : la préparation et la distribution des repas, l’accueil de nuit, des ateliers de travail. S’ajoutent à cela des fonctions annexes de vie quotidienne : dispensaire, buanderie, salle de désinfection et de distribution des habits, loges des gardiens, bureaux et logements du personnel. Au total, près de 500 lits (dortoirs et « chambrettes » pour les mères célibataires), de même qu’une crèche dédiée à l’accueil des enfants durant les journées de travail des mères. La Cité de refuge est donc bien un « centre de tri » et de distribution de ces publics : centre d’information, bureau de placement, reclassement par le travail, hospitalité de nuit, centre d’accueil des hommes, des mères et des enfants. Les archives de travail de Le Corbusier comportent ainsi de nombreuses versions de tableaux de calcul qui sont autant de preuves d’une recherche de la meilleure distribution des populations, selon le sexe en particulier, et les fonctions. Le bâtiment est ainsi conçu pour faciliter le triage : depuis le portique d’entrée, les individus sont conduits jusqu’au dispensaire en passant par « un vestibule de triage » (sous la rotonde). Après appréciation de leur état de santé physique et de leurs vêtements dans le dispensaire et le « vestiaire du pauvre » (second niveau sous la rotonde), les individus sont pris en charge. Dans une période où la pauvreté prend des visages nouveaux et diversifiés, l’accueil ne peut plus être uniforme ou binaire (sanitaire versus social).

S’agissant du fonctionnement interne et des conditions d’accueil concrètes, il est clair que la Cité de refuge est à la fois « maison d’accueil, centre de triage et de reclassement [55] ». Mais au-delà de cette fonction, l’Armée du Salut entend aussi mener une mission : la réhabilitation morale et le salut des pauvres. Aussi, l’encadrement y est réglé selon une discipline stricte. L’usage du temps et de l’espace y est fortement ordonné et encadré. Le bâtiment est adapté à ces exigences de tri, de discipline et d’hygiène : la distribution des populations par niveaux permet la mise en place de grilles de fermeture au bas des escaliers. Le long des plinthes des cages d’escaliers courent des rigoles qui, comme les planchers dont le plan est légèrement incliné, ont pour fonction de faciliter le lessivage et le lavage des lieux à grande eau.

« À sept heures du matin, une nouvelle série de coups de sifflet retentit et les officiers de l’Armée du Salut se mirent à passer entre les lits pour secouer ceux qui ne faisaient pas mine de se lever assez vite. Depuis, j’ai dormi dans bon nombre de refuge de l’Armée du Salut et me suis aperçu que, si quelques détails changent d’un établissement à l’autre, partout y règne la même discipline quasi militaire. […] Dans certains, il y a même, une ou deux fois par semaine, un service religieux obligatoire auquel il faut assister si l’on ne veut pas être mis à la porte [56] », relate Georges Orwell à la fin des années 1920. L’accueil, la gestion du temps et des espaces s’apparentent dans ces lieux de reclassement à ce que le sociologue Erving Goffman a appelé des « institutions totalitaires », c’est-à-dire des « lieux de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées [57] ». Dans ce modèle, le temps des individus est accaparé par un lieu dans lequel peut, et doit, se réaliser l’ensemble des activités de la vie sociale. La musique elle-même, avec la fameuse fanfare, joue un rôle. Elle facilite le rassemblement des indigents dans le tumulte de la rue et permet de contenir les perturbations provoquées par les hommes ivres [58]. En ce sens, nombre d’auteurs ont pu voir dans ce genre de lieux une incarnation typique des grandes machines disciplinaires et éducatives, normalisatrices, que Michel Foucault a théorisé sous le vocable de « biopouvoir [59] ». Sans doute n’est-ce pas faux.

Toutefois, voir dans les positions du seul Le Corbusier l’incarnation de cette volonté politique de dressage des corps reste insuffisante. Elle conduit à oublier le fait que l’architecte n’échappe pas aux questions et visions du monde de son temps, auxquelles il tente d’apporter des solutions, et que son architecture en est une trace matérielle et historique [60]. Le discours d’inauguration de la Cité en décembre 1933, prononcé par Justin Godart, est significatif de cette vision du monde à laquelle Le Corbusier donne une traduction architecturale. Comparant la Cité au « service à la porte » des hôpitaux, il opère une distinction entre « traitement sanitaire » et « traitement social ». Ainsi livre-t-il une représentation singulière de l’action sociale : « La cité de Refuge sera ce service […] mais pour les victimes d’elles-mêmes et de la société. En vérité, elle réalisera, avec les méthodes de classement les plus modernes, les plus hautes aspirations d’un idéal devant lequel tout homme s’incline [61]. »

AUTEUR
Olivier Chadoin
Professeur de sociologie
Université de Bordeaux, Centre Émile Durkheim et PAVE

ANNEXES

NOTES


[1] Gilles Ragot, Olivier Chadoin , La cité de refuge - Le Corbusier et Pierre Jeanneret, Paris, Éditions du Patrimoine, 2016.
[2] Voir André Gueslin, Les Gens de rien. Une histoire de la grande pauvreté dans la France du xxe siècle, Fayard, 2004, p. 88.
[3] Le terme de secte est à comprendre ici selon sa définition sociologique et non juridique. Il s’agit d’un « groupe religieux minoritaire » basé sur une autorité de type charismatique. La notion de secte se définit donc par opposition à la notion d’Église, comprise comme religion dominante. Dans cette définition, l’Église est « inclusive » : elle intègre à la fois les saints et les pécheurs. Par opposition, la secte est « exclusive » : elle n’intègre que des croyants actifs, et engagés, quitte à les convertir. Tandis que l’Église est libre et ouverte à tous, l’adhésion au groupe religieux minoritaire est le fait d’une démarche volontaire et active. Cf. Max Weber, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Flammarion, 2000 [1906].
[4] Voir Jean Seguy, « Les sectes d’origine protestantes et le monde ouvrier français au xixe siècle », Archives des sciences sociales des religions, vol.6 , 1958, p. 119-126.
[5] Voir Michel Allner, L’Armée du Salut. Église, armée, œuvre sociale, l’adaptation d’une institution victorienne aux cultures nord-américaines et françaises au xxe siècle, thèse de doctorat, université Paris-VII, 1994.
[6] Voir Max Weber, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme [1906], Flammarion, 2000.
[7] Comme l’a rappelé Brian Brace Taylor, Le Corbusier. La Cité de refuge, Paris 1929-1933, L’Équerre, 1980, p. 11.
[8] Friedrich Engels évoque le fait que, pour maintenir l’esprit religieux dans la classe ouvrière, la bourgeoisie anglaise « accepta l’aide dangereuse de l’Armée du Salut, qui fait revivre la propagande du christianisme primitif, déclare que les pauvres sont des élus, combat le capitalisme à sa manière religieuse et entretient ainsi un élément primitif d’antagonisme chrétien de classe, susceptible de devenir un jour dangereux pour les possédants qui sont aujourd’hui ses bailleurs de fonds », cité par Michael Lowy dans « Karl Marx et Friedrich Engels comme sociologues de la religion », Archives des sciences sociales des religions, no 89, 1995, p. 41-52.
[9] L’analogie biologique et la lecture de la ville comme corps dont il faut soigner les pathologies pour que chaque organe y trouve sa place est également courante en cette période où l’organicisme et le fonctionnalisme de Bronislaw Manilowski et sa « théorie scientifique de la culture » restent dominants dans les sciences sociales.
[10] Dans Technics and civilizations, trad. française : Techniques et civilisation, Seuil, 1950.
[11] Dans Le Corbusier. La Cité de refuge, op. cit., p. 11-12.
[12] Cette conception sera à l’origine d’un malentendu lors de son voyage à Moscou en 1928. Ainsi, Jean-Louis Cohen a très clairement explicité cette affaire, notamment bien illustrée dans un article de La Pravda (13 octobre 1928) annonçant l’arrivée de Le Corbusier. On peut y lire sous la plume de David Atkins que « Le Corbusier pose la question à l’envers : il incline à donner à l’architecture elle-même le rôle de facteur révolutionnaire, il attend d’elle une révolution dans le mode de vie qui rendrait superflue la révolution sociale ! À ce point, l’audacieux profanateur des idoles esthétiques de la société bourgeoise s’enferme dans l’impasse de la phase esthétique », cité par Jean-Louis Cohen, Le Corbusier et la mystique de l’URSS, Paris, Mardaga, 1995, p. 64-65.
[13] Urbanisme, Paris, Arthaud, 1980, p. 120-133.
[14] Dans Art et technique aux xixe et xxe siècles, Paris, Gallimard, 1988 [1956], p. 33
[15] Voir Anatol Kopp, Quand le modernisme n’était pas un style mais une cause, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, 1988, p. 143.
[16] Cela d’autant que les années 1930 se caractérisent par une grande confusion sur le plan politique avec, entre autres, une instabilité de la IIIe république, des crises ministérielles répétées et un antiparlementarisme ambiant, d’ailleurs partagé par Le Corbusier. Ainsi par exemple, la revue Plan, dans laquelle d’aucuns ont voulu voir une preuve des idées droitières de Le Corbusier, est-elle également traversée par cette ambiguïté propre à cette période comme a pu l’analyser Anatole Kopp (ibid., p. 162-163). Ce rappel d’une nécessaire contextualisation des idées de Le Corbusier est important tant les tentatives de « réduction » politique de son travail sont nombreuses.
[17] Lettre de Le Corbusier au commandant Peyron, datée du 3 mai 1929, Fondation Le Corbusier J2-8-14-002 (noté FLC dans les notes suivantes).
[18] Dans La Formation de Le Corbusier. Idéalisme et mouvement moderne, Macula, 1987.
[19] Ibid., p. 33.
[20] On est à l’opposé du modèle de la maîtrise d’ouvrage professionnalisée, « routinisée », pour laquelle projet social et projet architectural sont des sphères de pensée et d’activité autonomes au point que des médiateurs soient nécessaires pour les articuler. Il n’y a pas ici un programme précédent la réponse architecturale, mais une réponse architecturale qui est en soit un programme en matière de travail social.
[21] Il faut comprendre ici la notion de charisme au sens wébérien, c’est-à-dire comme une vertu portée par des individus, qui engage une reconnaissance et des suiveurs. Défini ainsi, le charisme possède un caractère de changement social qui bouscule les institutions et administrations en place, notamment en période de crise. Selon cette lecture, on pourrait attribuer à Le Corbusier un « charisme du savoir-faire » et, à Albin Peyron et à l’Armée du Salut, un « charisme de la certitude du salut » (d’ailleurs propre, selon Max Weber, à l’ascétisme intramondain). Voir Max Weber, Économie et société, Paris, Plon, 1971 [1921], et, pour une analyse des charismes spécifiques, Régis Dericquebourg, « Max Weber et les charismes spécifiques », Archives de sciences sociales des religions, no 137, 2007, p. 21-41.
[22] Anatole Kopp rappelle très justement, à propos du développement des idées modernes en architecture dans cette période des années 1930, que « toute orientation architecturale nouvelle exige, pour passer de la théorie à la pratique, qu’existe une clientèle pour cette nouvelle orientation ». Si, en Allemagne ou en Union soviétique, elle existe sous la forme des syndicats ou des partis, en France « elle n’est constituée que par une mince frange intellectuelle et artistique, plus proche du Montparnasse de l’époque que de la France profonde ». Cf. Anatole Kopp, Quand le modernisme n’était pas un style mais une cause, op. cit., p. 138.
[23] À tel point qu’il faut dans cette période différencier mendiants et pauvres, les premiers jouissant d’une condition bien préférable aux seconds, démunis et sans travail.
[24] Voir Robert Castel, « Les marginaux dans l’histoire », dans Serge Paugam [dir.], L’Exclusion, l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 1996, p. 32-41.
[25] Bronislaw Geremek, La Potence ou la Pitié. L’Europe et les pauvres du Moyen âge à nos jours, Paris, Gallimard, 1987.
[26] L’ordonnance du 24 août 1701 désigne ainsi le vagabondage : « Déclarons vagabonds et gens sans aveu ceux qui n’ont ni profession, ni métier, ni domicile certain, ni lieu pour subsister et qui ne sont pas avoués et ne peuvent certifier de leurs bonnes vies et mœurs par personnes dignes de foi », cité dans Alexandre Vexliard, Introduction à la sociologie du vagabondage, Paris, Rivière, 1956, p. 83.
[27] Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, 1964.
[28] Cité par Roger Henri Guerrand dans « Histoire des taudis », dans Serge Paugam, op. cit., p. 218-227.
[29] Voir Louis Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du xixe siècle, [1958], Paris, Perrin, 2002.
[30] Djemila Zeneidi-Henry, Les SDF et la ville. Géographie du savoir-survivre, Paris, Bréal, 2002, p. 26.
[31] Ce n’est pas ici l’objet que d’aborder la progressive apparition d’un système assurantiel de prise en charge et de réforme sociale qui préfigure le développement de l’État social en même temps que subsiste encore l’ancien système philanthropique et caritatif. Sur ce sujet, le lecteur pourra consulter le travail désormais classique de Robert Castel, Les Métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995.
[32] Nels Anderson, Le Hobo. Sociologie des sans-abris, Paris, Nathan, 1993.
[33] Robert Castel, op. cit., p. 59.
[34] Voir André Gueslin, Les Gens de rien. Une histoire de la grande pauvreté dans la France du xxe siècle, Paris, Fayard, 2004, p. 37. Un ouvrage érudit et incontournable pour comprendre la période de l’entre-deux-guerres, sur lequel on s’est ici beaucoup appuyé.
[35] Sur cette question les références sont nombreuses. Pour le cas parisien on pourra consulter, Arlette Farge, Vivre dans la rue à Paris au xviiie siècle, Gallimard et Julliard, 1979 ; Daniel Roche, Le Peuple de Paris, Paris, Aubier, 1981 ; Michelle Perrot, « Les ouvriers, l’habitat et la ville au xixe siècle », dans La Question du logement et le mouvement ouvrier français, Paris, La Villette, 1981, p. 19-39, et Annie Fourcaut « Du lotissement au quartier. Le cas de la banlieue parisienne dans l’entre-deux-guerres » dans Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, tome 105, no 2, 1993, p. 441-457.
[36] Pour mémoire et indice de la volonté de mettre en place une « politique publique de l’habitat », entre la fin du xixe siècle et la période qui nous occupe ici, deux lois essentielles pour la question de la ville et du logement et son financement sont votés : la loi Siegfried qui crée les Habitations à Bons Marchés (1894), puis la loi Loucheur (1928) qui institue un important programme de construction (qui se révèlera insuffisant et surtout touché par la crise de 1929).
[37] Cité par André Gueslin, op. cit., p. 32.
[38] Idem, p. 73. L’auteur rappelle que, entre 1931 et 1936, un établissement industriel sur neuf a disparu du territoire français.
[39] Voir Axelle Brodiez-Dolino, « Entre social et sanitaire : les politiques de lutte contre la pauvreté-précarité en France au xxe siècle », Le Mouvement social, no 242, 2013, p. 9-29.
[40] Niels Anderson, op. cit., p. 245.
[41] Voir Nicolas Baverez, Chômeurs et chômage dans les années 1930, thèse de troisième cycle, Université Paris-I, 1986, p. 111, cité par André Gueslin, dans Les Gens de rien, op. cit., p. 75.
[42] La préoccupation hygiéniste n’est pas nouvelle, comme l’illustre la politique architecturale des sanatoriums qui va s’accélérer entre 1920 et 1950 à tel point qu’on a pu parler pour cette période d’une « production de masse ». Voir Jean-Bernard Cremnitzer, Architecture et santé. Le temps du sanatorium en France et en Europe, Paris, Picard, 2005, en particulier p. 63-100.
[43] André Gueslin, Les Gens de rien, op. cit., p. 69. Axelle Brodiez-Dolino (« Entre social et sanitaire : les politiques de lutte contre la pauvreté-précarité en France au xxe siècle », op. cit., p. 21-22) note également trois indices de cette professionnalisation : la création du diplôme d’État d’infirmière en 1922, celle du diplôme d’État d’assistante sociale en 1932 et, enfin, la séparation des professions d’infirmière et d’assistante sociale en 1938 qui signe la distinction entre le « sanitaire » et le « social ».
[44] « Le sans-abri, qui se rappelle sa maison et sa mère, écoute avec respect les appels et les prières des assistantes, et est ému par les chants des jeunes filles. Un argument religieux soutenu par une femme de forte personnalité submergera parfois un homme abattu et cafardeux », explique Niels Anderson à propos de la présence des femmes dans les organismes de mission aux États-Unis dans les années 1920 et 1930. Voir Le Hobo. Sociologie des sans-abri, op. cit., p. 248.
[45] Voir le courrier du commissaire Peyron à Le Corbusier, 19 février 1931, FLC 14-J2-15.
[46] Lettre de Le Corbusier au commissaire Peyron, 7 février 1931, FLC J2-15-175.
[47] Lettre de Le Corbusier à la Princesse de Polignac, 4 décembre 1934, FLC J2-5-35.
[48] Brian Brace Taylor confirme cette grande attention portée à la crèche, sans toutefois rapporter cet élément aux cadres de perception sociopolitiques de la période, mais en signalant le manque de ce type d’équipement dans les quartiers ouvriers parisiens. Voir Le Corbusier. La Cité de refuge, op. cit., p. 103-109.
[49] Selon les mots du commissaire Peyron dans sa correspondance avec l’architecte (FLC J2 15 42).
[50] Voir Alain Corbin, Le Miasme et la jonquille, Aubier Montaigne, 1982. « Décrotter le pauvre équivaut à l’assagir, convaincre le bourgeois de se laver, c’est le préparer à l’exercice des vertus de sa classe », y explique l’auteur.
[51] Selon les termes, Brian Brace Taylor, idem, p. 23.
[52] Voir Maurice Agulhon [dir.], Histoire de la France urbaine, t. 4 : La Ville de l’âge industriel, le cycle Haussmannien, Paris, Seuil, 1983.
[53] On connaît la péniche « Sainte-Catherine » à Paris, mais on peut également citer le « bateau asile » Osiris à Bordeaux, évoqué par Djemila Zeneidi-Henry dans Les SDF et la ville. Géographie du savoir-survivre, Paris, Bréal, 2002, p. 115-116.
[54] Voir Le Corbusier. La Cité de refuge, op. cit., p. 31. Entre ce programme initial et le projet définitif, on compte cinq versions différentes du projet.
[55] C’est ainsi qu’elle est décrite dans le document (FLC J2-17-537) édité par l’Armée du Salut à l’occasion de son inauguration le 7 décembre 1933.
[56] Georges Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres [1935], Paris, 10/18, 2001, p. 216-217.
[57] Erving Goffman, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Minuit, 1968, p. 41.
[58] Voir Niels Anderson, Le Hobo. Sociologie des sans-abris, op. cit., p. 249.
[59]  Voir Michel Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Gallimard et Seuil, 2004.
[60] Pour exemple et illustration de ce type d’approche radicalisant la lecture foucaldienne par le corps, jusqu’à l’oubli des conditions sociales et historiques de production de l’architecture, on pourra notamment consulter l’article de Marc Perelman, « Critique de Le Corbusier » dans la revue Quel corps ?, Paris, Maspero, 1978.
[61] Cité dans Je sais tout, janvier 1934, p. 543-544.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Olivier Chadoin, « La cité de refuge de Le Corbusier : la rencontre de deux charismes au service d’une morale et son ordre spatial », dans Espaces, territoires et identités : jeux d’acteurs et manières d’habiter, Hervé Marchal [dir.], Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 4 mai 2023, n° 19, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Olivier Chadoin.
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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